« vieillir : le regard de l’artiste Emily Coubard »

« ce sont les autres qui sont ma vieillesse » écrivait Jean-Paul Sartre. Et si on partait à la rencontre de ces autres qui façonnent les multiples facettes de notre vieillir ?

Dessin au crayon, acrylique, collage sont les modes d’expression d’Emily Coubard pour raconter, au plus proche de ce qui est, la féminité, la vieillesse, la santé mentale.

Côté dessin, tu fais quoi en ce moment ? 

Je suis professeure de dessin, je donne des cours en groupe et sur demande et la majeure partie de mes élèves sont des retraité·e·s. Dessiner c’est une façon de regarder le monde et ce regard peut être affecté par des blocages qui sont différents selon le sexe, l’âge, le milieu socio-culturel.

Avec les femmes, par exemple, on travaille davantage la question de la confiance en soi dans les exercices de pratique, par un lexique oral positif pour croire et faire croître ce sentiment.

Pour les personnes âgées, j’ai l’exemple de deux hommes qui ont perdu en capacités cognitives et en agilité de leurs mains ce qui vient nourrir, chez eux, un sentiment d’insécurité. C’est à moi à amener l’exercice initialement prévu autrement, à travailler sur un geste plus brut, à utiliser des couleurs, etc. pour galvaniser la confiance.

Des adolescent·e·s ont aussi rejoint le groupe ; on est entre personnes et personnalités singulières et c’est ce que j’aime. Là, on approche de la fin d’année scolaire et je sens qu’il y a des élans de partage entre les élèves. Sur un temps long, je constate l’évolution de la technique et aussi des relations à soi et aux autres.  

Tu peux nous en dire plus sur ta série de portraits de seniors initiée en 2023 ?

J’aime prendre soin des ancien·ne·s des autres comme j’aimais le faire chez moi. Je les trouve touchant·e·s avec toujours plein d’histoires à raconter. J’ai eu cette envie d’aller les rencontrer et de créer des portraits singuliers. Mais, dans cette démarche, l’aspect social est fort et je n’étais pas prête à y investir autant d’énergie : rentrer dans l’intimité des gens, que leurs enfants soient d’accord…

Je reste touchée par la complexité que c’est que de représenter une personne âgée : les galbes, la peau qui lâche, sa transparence…autant d’éléments qui me permettent d’explorer une palette chromatique large. Il y a ce truc dans les visages des vieilles et des vieux qui fait qu’on ne sait pas si on doit rire ou pleurer…Choisir de mettre du rose pétant dans un portrait mélancolique fait, justement, apparaître cette dualité.

Quand on regarde le portrait d’une personne âgée, on s’imagine tout un vécu. On projette sur elle le fait de vieillir, bien ou pas, l’après… La plupart du temps, moi, je trouve juste la personne belle. Ce regard me vient d’une expérience, il y a quelques années, sur une plage du sud de la France. C’était en septembre donc le lieu était plutôt calme avec, principalement, des retraité·e·s qui étaient nu·e·s. Il y avait quelque chose de très beau dans la représentation de la nudité, sans qu’elle soit sexualisée -ces corps tannés par le soleil, sans marques de maillot-, quelque chose de très beau, aussi, dans la simplicité des corps qui allaient et venaient, avec pudeur, à la mer.

Quelles sont les thématiques qui nourrissent ta créativité ?

L’intimité physique et psychique m’inspirent et m’interrogent. Pendant mes études d’architecture, j’ai travaillé sur un projet de conception d’un centre pour personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. Puisque la stimulation ralentie l’avancée de la maladie, j’ai pensé des espaces qui allaient du plus intime comme la chambre au public avec le jardin, la chapelle, etc., créé des stimuli variés avec des codes visuels spécifiques -exemple : identifier le couloir à la rue, l’espace de repas au quartier, etc. J’ai utilisé des matériaux, des couleurs, des espaces différents pour simuler et stimuler la vie ‘normale’ dans cet habitat médicalisé.

La santé mentale et son déclin me touche beaucoup. Comment garder la beauté et la légèreté ; comment créer des moments de qualité avec une personne qui ne nous reconnaît plus. Je ne suis pas d’avis de rappeler le passé à la personne malade…si elle trouve de la légèreté dans cet oubli alors accueillons ça. Hors contexte de la maladie dégénérative, toute personne est différente en tous temps. Enfant, on porte un regard sur nos ainé·e·s qui changent, font de nouvelles rencontres amoureuses, amicales, qui déclinent… On se confronte alors à une réalité qu’on pensait immuable. Il faut respecter les choix de la personne qui vieillit, la laisser être dans sa réalité. Et pour ça, nous cadets, apprendre à accompagner : pourquoi on guide les bambins et leurs parents dans le début de la vie et qu’il n’y a pas le même suivi dans les dernières années de la vie ?

Tu as des envies, des projets pour bientôt ?

Cette année, j’ai fait une pause dans la créativité. Créer, c’est raconter des histoires et je n’avais plus vraiment d’histoires à raconter. La féminité et la santé mentale restent des sujets que j’aimerais approfondir tout en y amenant de la gaieté ; réussir à trouver un langage pour parler d’un sujet triste ou tabou tout en le rendant drôle. Le photographe Sacha Goldberger l’a très bien fait, lui, en mettant en scène sa grand-mère de façon décalée. D’une volonté de passer plus de temps ensemble à celle de démonter les clichés sur la vieillesse, il y a eu ces photos loufoques de Mamika et, aussi, leurs conversations sans queue ni tête, à mesure qu’elle est prise dans la maladie d’Alzheimer. Il y a quelque chose de très doux, léger et drôle mais sans être moqueur. Ça a créé une fin de vie géniale qui n’est pas celle la plus mise en lumière dans nos sociétés. J’aimerais faire ça, trouver la justesse pour dire, rire, dans le respect du vécu de chacun.

Propos recueillis et mis en forme par Elodie

Portrait « personne âgée » par Emily Coubard

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