SNCB: marche (l’application) ou crève (l’humain)
Le billet de Béné – Juin 2020
Depuis février 2021, la SNCB prend ses usagers et usagères en otage : désormais, il faut acheter son billet Rail Pass via une application à télécharger sur son smartphone… ou le payer plus cher au guichet et au distributeur automatique. Une mesure d’exclusion pour les « déjà-exclu·e·s » : je pense à celles et ceux qui n’ont pas de smartphone, pas la compréhension du système d’applications, celles et ceux qui ont des difficultés à lire et pour qui le service au guichet restait le plus simple. C’est-à-dire, une partie du public de Liages, qui n’est pas né avec une tablette entre les mains, mais aussi les seniors isolé·e·s pour qui les guichets des banques et des trains étaient une source de contact social. Ces mêmes personnes sont souvent déjà précarisées, à d’autres niveaux. Donc payer leur billet quelques euros plus cher… ça compte.
Bref, il me semble que cette nouvelle politique (qui, il me semble, devrait gagner du terrain au fil des années) renforce aussi bien la fracture numérique que les inégalités sociales. J’ai pourtant bien dû me résoudre à télécharger cette fameuse application. Mon compte en banque me le conseillait fortement. J’y ai acheté un Rail Pass. Je l’ai utilisé plusieurs fois. Mais ce vendredi 21 mai 2020 : surprise ! L’application connaît un problème informatique. 2 minutes avant que je monte dans mon UNIQUE train par heure (j’habite en zone rurale). Au loin, sur un autre quai, la solitaire borne automatique de ma gare locale. Les guichets, eux, sont fermés depuis 10h45 ce matin. Je traîne ma valise dans les escaliers, je fais vite imprimer un second ticket. Je remonte sur le quai et j’attrape mon train au vol.
Le contrôleur arrive, je suis déjà en ligne avec le service client SNCB pour tenter tant bien que mal de régler le problème. Je reçois une réponse automatique d’un conseiller-androïde qui m’assure « qu’on reviendra vers moi d’ici 5 jours ». Je montre mon ticket au contrôleur. Nouvelle surprise ! Ce n’est pas un ticket valide. C’est un ticket weekend qui ne peut être utilisé qu’à partir de 19h. Et il est 16h. Il me demande de payer un troisième ticket, avec déjà une amende de 7 euros parce que je le prends dans le train. Je refuse. Je lui montre le message d’erreur affiché par l’application. « Alors c’est 75 euros d’amende » me répond-il. Il semble lui aussi, être un robot. Pas de chance, il est pourtant mon dernier recours humain, entre mon smartphone et les bornes automatiques. Je tente donc de réexpliquer la situation : j’ai un autre ticket, je n’y ai juste pas accès. J’ai voulu me mettre en ordre malgré tout. « Alors c’est une plus grosse amende. Pour agressivité ».
Il se met hors ligne. Il appelle Securail. Je me fais escorter hors du train par 4 malabars en uniforme. La garde royale de l’Empereur (pour celles et ceux qui ont vu Star Wars). Je manque mon rendez-vous (j’étais en route pour voir une amie plus vue depuis l’ère pré-Covid). « Heureusement », Securail est dubitatif quant à mon agressivité et me laisse donc continuer ma route avec « seulement » une amende de 75 euros pour irrégularité. « A contester dans les 14 jours », qu’ils me disent.
Je me considère encore chanceuse dans cette histoire. J’ai un smartphone. Avec Internet illimité. Je sais lire. Je sais écrire. Je ne suis pas encore à la retraite avec une pension dérisoire, et donc, je sais payer mes amendes. Je peux les contredire aussi, en montant un dossier rempli de « captures d’écran » (« screenshots » pour les intimes). J’aurais tout ce qu’il faut pour devenir une femme-robot, du haut de mes 27 ans. Sauf l’envie. Mais je pense que ce n’est pas le cas de tout le monde, pour plein de raisons différentes et qui doivent être respectées et surtout prises en compte : une situation de handicap, des difficultés à parler nos langues nationales, à écrire, à se procurer un smartphone, à l’utiliser… ou simplement le besoin d’un réel contact humain.
Pour ces personnes, c’est marche (l’application) ou crève (l’humain).