Le patient gériatrique : objet ou sujet de soin ?
Quelle place occupe la subjectivité du patient âgé à l’hôpital ? Dans la relation qui l’unit au personnel soignant de l’hôpital, le patient gériatrique est encore largement considéré comme un « objet de soin » plutôt que comme un sujet à part entière. Certes, le cadre juridique hospitalier a donné naissance à la loi sur les droits du patient, qui lui ouvre une plus large marge de manœuvre dans la prise de décisions qui concernent son traitement médical. Notre analyse ne se situe pas dans un cadre juridique mais plutôt symbolique. En effet, il semble que des éléments symboliques, que nous détaillerons ci-après, influencent les relations humaines dans un mouvement « d’objectivation » de la personne. L’objectivation a lieu lorsque le corps d’un individu est séparé de sa personne et réduit à un statut d’objet refoulant sa part de subjectivité.
Pour reprendre les mots de Jean-Michel Longneaux, philosophe, force est de reconnaitre que « du côté de l’organisation des soins et de la prise en charge des personnes âgées, on observe que ce sont moins les grands principes éthiques qui inspirent le secteur, que trois contraintes de plus en plus incontournables : il s’agit de la science, de l’économie et du juridique ». Ces disciplines sont constitutives du « cadre normatif » de l’environnement hospitalier contemporain. Le « cadre normatif » d’un environnement fait référence aux normes sociales qui régulent les comportements, les discussions, les relations… dans cet environnement. La norme sociale peut être définie comme une : « règle de conduite dans une société ou un groupe social, notamment des manières d’agir ». Ces règles sociales sont intériorisées par les individus et les aident à agir de manière « normale » ou « adéquate » dans une situation donnée. Parfois ce processus d’intériorisation des règles est inconscient et l’individu en vient à ne plus vraiment savoir pourquoi il agit d’une telle manière plutôt qu’une autre, il le fait par habitude. Reprenons ces trois disciplines plus en détail et analysons dans quelle mesure elles participent à l’objectivation du patient gériatrique.
La science biomédicale
Nous vivons dans une société qui a un perpétuel besoin de preuves. En unité gériatrique, la prise en charge de la personne âgée est structurée par une multitude de conceptions scientifiques (gériatrie, médecine générale, psychologie…). « Ces savoirs ont dû payer le prix de leur efficacité : se contenter de ce qui est objectivable. Du coup tout ce qui relève de la subjectivité est relégué au second plan ». Il est évident que la science a toute sa place à l’hôpital, l’idée n’est pas de remettre en cause ce postulat. Par contre, elle peut être critiquée lorsqu’elle influence et s’immisce dans les relations humaines. Il faut garder à l’esprit qu’elle ne constitue pas le seul code de conduite dans le soin. Dit autrement, lorsque l’on travaille dans un environnement scientifique, on risque de se comporter avec les autres êtres humains comme le chimiste avec les molécules et autres atomes. Le scientifique agit effectivement en terme de « cause à effet ». Par exemple, l’incontinence appelle la protection, l’agitation appelle la sangle de contention, ou encore le cancer appelle la chirurgie ou la chimiothérapie. Dans ce contexte, peu de place est laissée au sens donné par le patient à ces actes. Les professionnels de l’hôpital peuvent appliquer alors les « règles » scientifiques dans la relation qu’ils entretiennent avec leur patient et ne prennent pas toujours conscience de la déshumanisation qui s’opère par cette acquisition routinière. L’éthique est une discipline qui ne se donne pas pour priorité de répondre au primat de l’objectivité c’est-à-dire à cette logique de cause à effet. Elle accepte la singularité de chaque situation dans laquelle se côtoient des subjectivités (du soignant, du patient, de la famille, du médecin…) différentes. Les réponses données aux questionnements qui naissent dans ces situations ont alors la permission d’être à leur tour différentes. C’est une discipline qui autorise la critique, le questionnement, l’idée qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise action. Proche de la philosophie, elle laisse de la place au doute. C’est pourquoi, il semble essentiel que cette réflexion éthique puisse trouver sa place dans l’organisation du soin au même titre que la Médecine ou la Psychologie, ce qui n’est pas encore le cas pour le moment à l’hôpital.
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