La peste – Petite balade dans l’histoire de cette grande épidémie
A l’origine du fléau
La peste, dont le nom vient du latin pestis (fléau), est une maladie infectieuse qui se transmet principalement par piqûres de puces infectées. Les rongeurs comme le rat en sont le réservoir d’origine. Les humains peuvent contracter la maladie et développer des bubons (inflammation des ganglions là où a lieu la piqûre), le plus souvent au niveau de l’aine (entre le haut de la cuisse et le bas-ventre). Parfois, les bactéries atteignent les poumons, soit par contamination interhumaine (en cas de promiscuité importante), soit en fin d’évolution d’une forme bubonique. A l’époque, on appelait « peste » toute maladie qui donnait de fortes fièvres (comme la variole) et l’on donnait toutes sortes d’hypothèses quant à son origine : la colère divine, l’influence des planètes, le désordre climatique et aussi, des boucs émissaires. Jusqu’au XIVe siècle, les réactions consistèrent donc à prier, à pratiquer des flagellations et à brûler les hérétiques, les lépreux et les juifs, accusés de propager le fléau !
Première guerre bactériologique : les catapultes
La peste devint pandémie à trois reprises. La première commença au VIe siècle, sous le règne de l’empereur de Byzance Justinien, et dura plus de deux siècles. La deuxième, débuta en 1347 par la « peste noire », puis connu des soubresauts jusqu’à la première moitié du XIXe siècle. La troisième, commença vers la fin du XIXe siècle. Le point de départ de la peste noire, (dont le nom vient du latin atra qui veut dire « noir » mais aussi « horrible » au sens figuré), fut le comptoir génois de Caffa, assiégé à l’époque par les Tatars, une armée mongole dépendant de la Horde d’or. Frappés par l’épidémie et ne voulant pas que ses ennemis soient épargnés, ils eurent l’idée de partager leur problème en balançant les cadavres des pestiférés par-dessus les murs de la ville. Les Génois les jetèrent à la mer mais, malgré leurs efforts, succombèrent à la contagion. Les bateaux qui réussirent à s’enfuir transmirent la peste à chaque escale. C’est ainsi que la peste s’attaqua au bassin méditerranéen.
Quand le clergé s’en prend aux chats
Dans la plupart des populations urbaines, les rats porteurs de la peste furent attaqués par les chats, ce qui limita un peu la propagation de l’épidémie. Mais à Marseille, en 1347, il n’y avait plus de chats : l’église les trouvait diaboliques et malfaisants et avait préconisé leur extermination. Par voie terrestre, la peste noire transita de Marseille à Avignon, cité du Pape, et arriva à Paris. Par voie de mer, elle gagna Bordeaux, la Normandie et puis l’Angleterre. Les Pays-Bas n’y échappèrent pas, avec Gand, Bruxelles, Ypres et Anvers. La peste s’étendit en suivant les routes de commerce et déferla sur toute l’Europe. On estime qu’en l’espace de cinq ans, elle fit 25 millions de victimes (entre un tiers et la moitié de la population européenne). Les conséquences furent considérables sur plusieurs plans y compris eschatologique : les croyances au diable, au purgatoire et à l’apocalypse redevinrent populaires. La peste causa aussi, au moins en partie, la vogue des procès pour sorcellerie.
Quid des mesures sanitaires
Dans les villes du Moyen Age, les immondices accumulées dans la rue favorisaient la prolifération des rats. Suite à la peste noire, plusieurs mesures furent appliquées : fumigation des maisons, désinfection de la monnaie, enterrement des cadavres ou incinération dans des fosses (au lieu de les laisser à l’air libre). La purge et la saignée, grands classiques de l’époque, faisaient aussi partie des règles d’or. A Paris, les barbiers-chirurgiens furent tenus de ne plus jeter le sang dans la partie de la Seine comprise dans l’enceinte de la ville, mais de le faire au-delà, au-dessous de l’écorcherie aux chevaux. Dans l’Europe du XVIIe siècle, les médecins portaient un costume spécifique qui les couvraient de la tête aux pieds. Il comprenait une longue robe noire, des gants, des bottines, un chapeau et un masque muni d’un grand bec, rempli de nombreuses herbes aromatiques. Ils cherchaient à se protéger des miasmes (vapeurs malsaines) supposés être la cause principale de l’épidémie mais aussi à dissimuler les odeurs pestilentielles.
Nouvelles stratégies : quarantaines et passeports sanitaires
Quatre siècles avant J.-C. Hippocrate conseillait en temps d’épidémie de « fuir au plus tôt, le plus loin et le plus longtemps possible… ». Lorsqu’on découvrit à la fin du XIVe siècle que la peste noire débutait systématiquement dans les villes portuaires, on commença à mettre en quarantaine les navires suspects. Au cours du XVe siècle, la loi se généralisa à toute l’Europe. Au XVIIe siècle, on mit en place un réseau international d’informations sanitaires et des passeports sanitaires furent rendus obligatoires. Ces certificats (patentes) étaient délivrés à chaque navire lors de leur départ. Ils permettaient de vérifier si la ville de départ était touchée ou s’il y avait des malades parmi l’équipage et les passagers. Une patente nette était synonyme de « bonne santé ». Dans tous les cas, la mise en quarantaine à l’arrivé était obligatoire : il fallait séjourner quelques semaines dans des «lazarets », bâtiments près des ports consacrés à ces mises en isolement.
La peste de 1720 à Marseille
Malgré les mesures et depuis déjà trois siècles, la peste frappait Marseille à peu près tous les quinze ans. En 1720, le navireLe Grand Saint Antoine la lui apporta à nouveau. Il partit de Syrie avec une patente nette, mais l’épidémie débuta après son départ. Le capitaine fut contraint de faire quelques escales et, arrivé en Italie, il déclara cinq morts survenus à bord. Mais les médecins italiens le laissèrent repartir et le vaisseau amarra finalement à Marseille. Après quelques délibérations, les autorités autorisèrent le déchargement de la cargaison. La peste ne fit que progresser ce qui provoqua la fuite d’une bonne partie de la population qui répandit ainsi l’épidémie en Provence. Des mesures de confinement furent ordonnées et, pour isoler les régions contagieuses et empêcher toute circulation, on bâtit des murs longs d’une centaine de kilomètres : quiconque transgressant cette mesure devait être abattu. Cette épidémie fut la dernière secousse de la deuxième pandémie en Europe continentale, débutée en 1347.
Le « battle » entre les élèves de Pasteur et de Koch
Si la peste avait disparu d’Europe au XVIIIe siècle, des foyers épidémiques persistaient en Asie. Il fallut attendre la troisième pandémie pour que l’agent infectieux, une bactérie de forme allongée, soit découvert. A la fin du XIXe siècle, Pasteur et Koch étaient les chercheurs les plus populaires, fondateurs d’écoles prestigieuses mais souvent en opposition. En 1894, une recrudescence de la peste à Hong Kong motiva le gouvernement français à envoyer le suisse Alexandre Yersin, élève de Pasteur, pour étudier les raisons de l’épidémie. A son arrivé, Yersin constata que le japonais Kitasato Shibasaburo, élève de Koch, était déjà présent avec son équipe et avec les mêmes intentions. Yersin fût exclut des autopsies et écarté de l’hôpital. Déterminé à étudier le phénomène, il se fit construire une cabane sur le site pour en faire son laboratoire. Il obtint accès au dépôt mortuaire et après quelques prélèvements des bubons sur des cadavres, il arriva en 1894 à isoler le fameux bacille qui porte désormais son nom : Yersinia Pestis.
Pas de rat, pas de puce, pas de peste
Yersin réussit à isoler le microbe mais il ne comprit pas le rôle de la puce du rat dans la transmission à l’homme. Le cycle fut découvert quatre années plus tard par un autre pasteurien, Paul-Louis Simond. Il se livra à des expériences avec des rats sains et des rats pesteux et rédigea en 1894 un mémoire publié dans les Annales de l’Institut Pasteur, dans lequel il développa la trilogie « puce-rat-homme ». Si les puces étaient donc les agents transmetteurs et les rats leurs réservoirs, il fallait faire la chasse aux rats : on construisit sur pilotis, on ramassa systématiquement les ordures, on installa des trappes et on tua les rats avec de l’arsenic. Dans les ports, on ne se contenta pas de fumiger les bateaux : on construisit aussi des clôtures spéciales au bord des quais avec des revêtements en acier brillant et glissant car oui, les rats savent nager. Finalement, un accord international sur la dératisation dans les ports fut conclu entre plus de trente nations.
Quid du vaccin contre la peste
Jusqu’à la découverte des antibiotiques, on ne disposait pas de traitement curatif. De nombreux essais pour développer un vaccin se succédèrent, y compris ceux de Yersin, mais sans succès. Au début du XXe siècle, une nouvelle épidémie frappa Madagascar. A l’institut Pasteur de Tananarive, Girard et Robic tentèrent donc un nouveau vaccin. Vers 1930, ils effectuèrent avec succès les premiers essais sur eux-mêmes. Généralisé à Madagascar à partir de 1936, ce vaccin s’avéra efficace et le nombre de cas déclarés diminua. Mais la vaccination fut abandonnée à cause des effets indésirables, parfois sévères. D’autres vaccins furent développés mais ils ne se montrent pas efficaces sur les formes pulmonaires. Aujourd’hui, l’OMS recommande la vaccination seulement pour les groupes à haut risque, comme le personnel des laboratoires exposé en permanence. Enfin, il existe des antibiotiques efficaces contre les bacilles de la peste qui, administrés précocement, permettent d’obtenir la guérison.
Mara Barreto
Bibliographie
Pour celles et ceux qui souhaitent en savoir plus :
Augustin Cabanès. Fléaux des temps jadis. Editions Jourdan, 2019.
Clifford A. Pickover. Le Beau Livre de la Médecine. Des sorciers guérisseurs à la microchirurgie. Editions Dunod, 2013.
François de Lannoy. Pestes et épidémies au Moyen Age : VIe-XVe siècles. Editions Ouest-France, 2016.
Jean-Noël Fabiani & Philippe Bercovici. L’incroyable histoire de la médecine. Editions des Arènes, 2018.
Jean Vitaux. Histoire de la Peste. Editions Presses Universitaires de France, 2010.
Marc Magro. Sur l’œil d’Hippocrate. Petites histoires de la médecine, de la préhistoire à nos jours. Editions First-Gründ, 2014.
William Naphy & Andrew Spicer. La peste noire, 1345-1730. Grandes peurs et épidémies. Editions Autrement, 2003.
Emission télé : L’hygiène à travers les âges. Arte TV, 2021. Disponible sur : https://www.arte.tv/fr/videos/097496-000-A/l-hygiene-a-travers-les-ages/
Exposition temporaire : Covid-19, la nouvelle Peste Noire ? Musée de la médecine à Bruxelles. Plus d’info sur : https://www.museemedecine.be/covid-19-la-nouvelle-peste-noire/
Institut Pasteur. Fiches maladies. Peste. Disponible sur : https://www.pasteur.fr/fr/centre-medical/fiches-maladies/peste
OMS. Thèmes de santé. Peste. Disponible sur : https://www.who.int/topics/plague/fr/