J’ai proposé de tabasser des armoires pour ma grand-mère
Le billet de Béné – Mars 2020
En avril 2019, ma grand-mère a fait un AVC. Elle est décédée 6 mois plus tard. Pendant ce laps de temps, elle a vécu dans une maison de repos et de soins, atteinte de démence. Suzy (elle était Luxembourgeoise et s’appelait Barbe. Mais tout le monde l’appelait Suzy), était une femme fière, forte, presque dure. En quelques mois, elle était devenue frêle, plaintive, presqu’incompréhensible. J’allais la voir toutes les semaines. Parfois avec des pieds de plomb. Nos conversations n’étaient plus très enrichissantes, et ça me faisait mal de la voir se dégrader. A partir d’un certain moment, elle ne communiquait plus qu’en gémissant certains mots, avec tristesse ou colère. Pendant plusieurs visites, elle me répétait ainsi « les armoires », « armoires ». J’essayais en vain de la comprendre. « Quoi, les armoires ? », je lui tendais ce que j’y trouvais. « Tu veux les ranger autrement ? », je réorganisais l’intérieur. Je ne trouvais pas comment l’apaiser. Un jour, je l’ai retrouvée dans le réfectoire. La même complainte : « les armoires ! ». Je lui ai répondu : « Elles t’embêtent, les armoires, hein? Et bien alors viens, je vais leur péter la g***** ».
Pour la première fois depuis des mois, elle a souri. J’ai proposé de tabasser des armoires pour ma grand-mère.