J’ai peur de vieillir, et c’est la chose la plus enrichissante qui pouvait m’arriver
Le billet de Béné – Mai 2021
Je crois que beaucoup d’entre nous se reconnaissent dans cette phrase : « Je veux vivre longtemps, mais je ne veux pas vieillir ». Accepter qu’un jour nous serons « vieux » ou « vieille », c’est accepter qu’il existe une ultime période de temps, dont la sortie inéluctable est la mort. Longtemps, j’ai vécu dans cette même ambivalence. Je côtoyais mes grands-parents comme s’ils avaient toujours été âgés et comme si je ne le deviendrais jamais. Être « vieille », c’était pour les autres.
J’avais à peine 25 ans quand j’ai été engagée comme chargée de projets pour Liages. C’est un travail qui m’a forcé à regarder la vieillesse dans les yeux. J’ai dû l’appréhender, l’aborder sous tous les angles. Après de nombreux mois de réflexion, je peux dire que je n’ai pas peur des rides. Je les trouve belles. Une première victoire, car j’ai grandi entourée de magazines qui me répétaient page après page que mon objectif premier, en tant que femme, était d’avoir une jolie peau bien tirée sur un tout petit corps.
Mais j’ai peur de vieillir. Vraiment vieillir. Comprenez : j’ai peur du temps qui passe. Parce que je suis maintenant consciente qu’il passera. Peu importe combien je paye mes sérums et autres crèmes de jouvence. C’est une peur que je trouve bien plus enrichissante que celle d’avoir des cheveux blancs. Parce qu’au lieu de me pousser à lutter contre ce temps qui passe, elle me pousse à lui donner du sens.
Petit à petit, le problème est devenu solution : c’est aussi grâce à mon travail, en côtoyant la vieillesse – dans les livres où auprès des personnes qui ont bien voulu partager leurs témoignages avec moi- que je le trouve, ce sens. J’entends les espoirs, les histoires, les regrets et les expériences. Et ça me permet de percevoir la vie, non pas comme ayant un début et une fin, mais comme entrelacée à d’autres vies.
Un jour, à mon tour, j’espère pouvoir discuter avec des jeunes de 25 ans. Leur dire ce que je regrette, et ce que j’espère, ce que je vis et ce que j’ai vécu. C’est comme ça que le temps imparti ne prend pas fin brutalement. C’est un flambeau qu’on passe, de génération en génération. Il faut juste accepter de s’écouter sans cette foutue barrière fictive et erronée entre la « jeunesse qui ne sera jamais vieille » et « la vieillesse qui n’a jamais été jeune » : c’est la rencontre intergénérationnelle qui permet à la flamme d’être nourrie et de grandir pour ne jamais s’éteindre.
Pour comprendre ça, j’ai dû avoir peur de vieillir. Et c’est la chose la plus enrichissante qui pouvait m’arriver.