Détruire rajeunit
La grève de 1960 en Belgique, il n’y a que les vieux pour la raconter. Le pari de Benjamin Hennot, le réalisateur du documentaire Détruire rajeunit, est de rendre la grève à son actualité. Non pas pour commémorer — on ne commémore que le passé — encore moins pour muséifier. Le film a une visée presque pratique, son but est de décrire comment on fait grève. Quels sont les outils ? Comment fait-on débrayer un atelier ? Comment répond-on à la presse qui calomnie ? Comment bloque-t-on la circulation d’un pays ? Comment fraternise-t-on avec les soldats ?
Les riches images d’archives sont accompagnées du témoignage de celles et ceux qui ont fait cette grève et qui la racontent en détail, dans sa dimension pratique. Sur les images d’archive, les vieux d’aujourd’hui sont les jeunes de 1960. Le documentaire commence avec la voix des vieux, de vieilles. Puis, sans coup d’annonce, des voix jeunes. Des comédiens et comédiennes de moins de trente ans. Ils racontent la grève comme s’ils l’avaient vécue, le texte des vieux dans leur bouche. Sur l’écran, un encart indique leur nom. Renée Vankeleffe, vingt-sept ans en 1960, vingt-sept ans en 2022. Une jeune femme l’incarne à l’écran, parle de la grève avec les mots d’une jeune du vingt-et-unième siècle.
Je n’aime pas le titre du film, Détruire rajeunit. Les vieux restent vieux, ce qui ne les empêche pas d’avoir des choses à raconter, un apprentissage à transmettre : la pratique d’une grève générale qui a duré plus d’un mois, qui a uni Wallons et Flamands dans une Belgique qui sortait du colonialisme et était sommée de fêter le mariage de son jeune roi. Ne pas immortaliser mais propager. Rajeunir n’est pas l’objectif — à Liages, nous ne faisons pas de la jeunesse une valeur en contrepoint de la vieillesse –mais bien de rendre actuel. Pour que cette grève ne s’oublie pas, le pari du réalisateur a été de la mettre dans la bouche de la jeunesse d’aujourd’hui, cette jeunesse qui n’a jamais fait de grève générale et qui ne sait pas (encore) clamer « Dirigeants : nous sommes prêts », comme on le voyait sur les banderoles dans les cortèges de 1960. Gageons que le pari intergénérationnel de Benjamin Hénnot saura réactiver cette consigne qui, elle, n’a pas vieilli !
Références : Détruire rajeunit, documentaire de Benjamin Hennot, produit par Marie Kervyn et YC Aligator Film, 2021, 82 minutes.
Crédits des images :
- site du festival Millenium dans lequel il a concouru (https://www.festivalmillenium.org/fr/detruire-rajeunit-2/);