De la variole au vaccin – Petite balade dans cette histoire

Petite vérole, alliée des conquistadors espagnols

La variole est une maladie d’origine virale, excessivement contagieuse et caractérisée par une impressionnante éruption de petites boutons contenant du pus (pustules). Le mot, qui vient du latin « variola », signifie d’ailleurs « petite pustule ». Cette maladie redoutée, qui existait depuis le néolithique, devint épidémique uniquement lorsque apparurent les concentrations des populations (vers 3000 av. J.-C.). Quand l’espagnol Hernan Cortés arriva au Mexique il a 500 ans, la civilisation aztèque comptait environ 20 millions d’habitants. N’ayant jamais été exposés, les aztèques ne possédaient aucune immunité contre la « petite vérole », nommée ainsi par opposition aux autres véroles, comme la « grosse » (syphilis). En 1620, ils n’étaient plus qu’un million et demi : la variole introduite par les conquistadors décima cet Empire, contribuant fortement au succès de la conquête espagnole. 

La variole fut aussi le premier fléau du siècle des Lumières : environ dix pourcent de la mortalité au XVIIIe siècle lui est attribuable. Quand elle ne tuait pas, elle laissait des visages ravagés par de terribles cicatrices.  

Lady Montagu : ambassadrice de la variolisation

Nous savons aujourd’hui que la variolisation fut « l’ancêtre » de la vaccination. Cette ancienne pratique consistait à appliquer à une personne saine (par grattage, scarification ou injection) le produit prélevé des vésicules suppurantes du malade. D’abord pratiquée en Moyen-Orient et en Chine, elle fut rapportée discrètement en Europe au début du XVIIIe siècle. Cependant, ce fut grâce à Lady Montagu, épouse de l’ambassadeur de Grande-Bretagne à Constantinople, que la variolisation se répandit. En 1718, cette femme défigurée dans le passé par la variole, fit inoculer son fils de six ans en Turquie. Trois ans plus tard, de retour en Angleterre, elle réitéra l’opération pour sa cadette.
Suite au succès de cette procédure « officielle » réalisée en pleine épidémie et, malgré l’opposition de l’Eglise (affectée toujours par l’idée de contrer l’ordre divin), les enfants du souverain furent eux aussi « variolisés ». Avant de les inoculer, des essais supplémentaires furent cependant réalisés sur des prisonniers condamnés à mort. Ces derniers furent graciés et libérés en récompense pour avoir contribué au bien commun.

La variolisation du XVIIIe siècle en Europe

Durant les épidémies, la variole pouvait toucher jusqu’aux trois quarts de la population et tuer jusqu’à un tiers des malades. A la suite de la variolisation des enfants de Mary Montagu et de la publicité qu’elle en fit, des centaines de variolisations furent réalisées en Grande-Bretagne, Nouvelle-Angleterre et à Hanovre. Une fois répandue sur le continent, la méthode devint à la mode dans la noblesse.  Toutefois, en l’absence de preuve d’une efficacité durable et avec une mortalité d’environ deux pourcent liée à l’inoculation, de nombreux opposants apparurent, notamment en France. On alerta sur l’origine exotique de la technique ainsi que sur l’insidieuse influence de l’« anglomanie ». Présentée également comme « un remède de bonne femme », dès 1729 la variolisation ne fut plus pratiquée. Nonobstant, une décennie plus tard, une forte épidémie se déclara en Angleterre et dans certains hôpitaux anglais, une obligation d’inoculation fut édictée pour les enfants qui y entraient. Au cours du XVIIIe siècle, une vague très meurtrière sévit également en France et Louis XV en mourut. 

Edward Jenner et la vérole de vache

A la fin du XVIIIe siècle, un médecin de campagne anglais, Edward Jenner, fit une découverte décisive. Il observa que les fermières n’attrapaient pas la variole. En effet, en trayant des vaches atteintes par la vaccine (« cowpox » en anglais), elles faisaient une variole bénigne, non fatale, qui touchait uniquement leurs bras. Toutefois, ayant été « variolisé » quelques années plus tôt, Jenner ne pouvait pas expérimenter sur lui-même ! C’est ainsi que le 14 mai de 1796, il inocula dans le bras d’un enfant de 8 ans (James Phipps), le pus des vésicules de vaccine d’une laitière (Sarah Nelmes), infectée par une vache dont on connait aussi le nom : Blossom.

Deux mois plus tard, Jenner récupéra du pus varioleux chez un malade (dont on ne connait pas le nom) et pratique sur le jeune James quelques variolisations d’épreuve. Le garçon, immunisé, ne contracta pas la maladie : l’inoculation de la vaccine, préservait donc contre la variole humaine, beaucoup plus dangereuse. C’est ainsi que Jenner appela ce procédé vaccination, mot dérivée du latin « vacca », qui signifie vache.

Et la vaccination devint mondiale

Même si le procédé de Jenner fut aussi remis en cause (et même accusé de faire pousser des cornes de vache), il s’étendit beaucoup plus rapidement que celui de la variolisation. Entre 1799 et 1803, la vaccination fut réalisée dans tous les pays d’Europe ainsi qu’en Amérique du Nord et ce, malgré la lenteur et l’incertitude des moyens de transport.
Suite à la demande de Napoléon, Guillotin (inventeur de la guillotine) créa en 1799, une société pour la vaccination. En effet, Bonaparte envisageait l’invasion de l’Angleterre et voulait protéger les soldats contre la petite vérole. Il montra ainsi l’exemple en faisant vacciner son fils, le roi de Rome. Toutefois, la vaccination mit longtemps à s’imposer en France. 

Pendant plus d’un demi-siècle, le moyen de transfert le plus courant de la vaccine fut l’homme lui-même : au début du XIXe siècle, une expédition espagnole embarqua une vingtaine d’orphelins sur lesquels on réalisa des vaccinations successives pendant le voyage, de façon à maintenir le virus actif. La technique arriva ainsi en Amérique Centrale et en Amérique du Sud. Quant à l’Inde, le premier navire qui envoya la vaccine coula.

La vache : entre peur et espoir

Les premiers « vaccinophobes » (comme on disait à l’époque) étaient majoritairement des médecins partisans de la variolisation. Outre le côté « business », on pourrait se demander ce qui les agaçait autant, vu que les deux procédés reposaient sur les mêmes principes. C’était en fait la crainte de se faire « envachiner » (comme on disait aussi à l’époque). En effet, le produit variolique inoculé selon le procédé de Jenner ne venait pas du pus humain mais du pis des vaches (même si, par la suite, la protection se transmettait de bras en bras).
Cette thèse de « minotaurisation » qui résidait sur la peur d’empoissonnement du sang par des humeurs bovines ne faisait pas l’unanimité parmi les classes aisées. Les bourgeois, qui n’aimaient pas se mélanger avec les paysans, se montraient toujours réticents à recevoir une vaccine prélevée de personnes issues de basses classes. A partir de 1864, on passa enfin à la production de vaccine sur génisses (jeunes vaches), évitant, en autres, le transport humain et le risque de transmission accidentelle de maladies comme la syphilis. 

La poule, le chien et le lapin

Quelques années plus tard, une maladie infectieuse attira l’attention de Louis Pasteur : le choléra des poules. En 1879, Pasteur partit pour un séjour d’été dans sa maison familiale à Arbois. Son assistant, Charles Chamberland, oublia d’inoculer les bactéries aux poules, partit lui-aussi en vacances et les piqua avec la vieille culture à son retour. Les gallinacées tombèrent un peu malades mais ne moururent pas. Chamberland avoua tout à Pasteur qui conclut que les germes s’étaient affaiblis du fait de leur exposition à l’air pendant ces quelques jours. Il décida de répéter l’expérience sur des poules mais en leur injectant des bactéries fraiches. Les poules de Chamberland survécurent tandis que les autres…
La inoculation avec des germes affaiblis avait rendu le premier groupe résistant à la maladie.
C’est ainsi qu’en 1880 Pasteur décida, en l’honneur de Jenner, d’étendre l’utilisation du mot « vaccination » pour l’immunisation contre d’autres maladies que la variole. Son vaccin le plus connu fut celui contre la rage, conçu en 1885 à partir de la moelle osseuse (tissu situé au centre de certains os) de lapins infectés. 

Et la variole fut éradiquée

Pendant au moins 3000 ans, la variole incarna un fléau pour l’humanité. La première moitié du XXe siècle fut marquée par une augmentation du nombre de vaccinés. Au fur et à mesure que les cas diminuaient, la peur de la contagion disparaissait alors que celle des effets indésirables liés au vaccin augmentait. Au milieu du XXe siècle, on comptait beaucoup plus de complications liées au vaccin qu’à la maladie elle-même.
Le dernier cas endémique fut signalé en 1977 en Somalie, où la flambée fut rapidement endiguée. En 1980, la variole fut déclarée officiellement éradiquée et la vaccination fut ainsi stoppée. N’empêche, après le 11 septembre 2001, plusieurs pays envisagèrent sérieusement la menace d’une attaque bioterroriste, notamment via l’utilisation de ce virus.
En 2020, une plaque de bronze marquant la fin de ce fléau fut dévoilée au Siège de l’OMS à Genève, dans la même salle de réunion où, quarante ans plus tôt, il avait été certifié que cette maladie était désormais éradiquée de la surface du globe.

Mara Barreto

Photo : James Gillray – Caricature publiée en 1802 de Jenner vaccinant des patients qui craignaient qu’il leur fasse pousser des cornes de vaches.

Bibliographie 
Pour celles et ceux qui souhaitent en savoir plus :

Augustin Cabanès. Fléaux des temps jadis. Editions Jourdan, 2019. 

Clifford A. Pickover. Le Beau Livre de la Médecine. Des sorciers guérisseurs à la microchirurgie. Editions Dunod, 2013.

François de Lannoy. Pestes et épidémies au Moyen Age : VIe-XVe siècles. Editions Ouest-France, 2016.

Françoise Salvadori & Laurent-Henri Vignaud. Antivax. La résistance aux vaccins du XVIIIe siècle à nos jours. Editions Vendémiaire, 2019.

Jean-Noël Fabiani & Philippe Bercovici. L’incroyable histoire de la médecine. Editions des Arènes, 2018.

Lise Barnéoud. Les vaccins, la science et nous : Ce qu’il faut savoir pour faire des choix éclairés. Editions Flammarion, 2018.

Luc Perino. Patients zéro. Histoires inversées de la médecine. Editions La Découverte, 2020.

Vincent Le Moigne. Les vaccins et la vaccination : 100 Questions/Réponses. Editions Ellipses, 2017.

OMS. Commémoration de l’éradication de la variole – un héritage chargé d’espoir pour la COVID-19 et d’autres maladies. Disponible sur https://www.who.int/fr/news/item/08-05-2020-commemorating-smallpox-eradication-a-legacy-of-hope-for-covid-19-and-other-diseases

ABONNEZ-VOUS à notre newsletter pour vous tenir au courant des denières informations