Ces vieilles et vieux qui ne mangent pas les pissenlits que par la racine.
Le billet de Béné – Juillet 2023
J’ai fréquenté quelques collectifs et mouvements en tous genres : féministes, antiracistes, queers[1] ou encore antifascistes. Des sphères de luttes chargées d’histoire au sein desquelles les vieilles et les vieux auraient eu toute leur place. Pourtant, ces groupements étaient largement estudiantins ou, en tout cas, investis par des jeunes de moins de 30 ans.
Il m’est même arrivé, du haut de mes 29 ans, de me sentir moi-même trop vieille pour m’intégrer à certains collectifs. Je voyais bien qu’on m’y toisait avec une certaine méfiance : « à son âge, c’est peut-être une flic en civil ». Mais les seniors, eux, étaient systématiquement disqualifiés d’avance : cheveux gris ? Ok, boomer. Et puis d’ailleurs, peut-être que ces mouvements ne leur parlaient pas non plus. En tout cas, le constat était partout pareil : pas de vieux ou vieilles militantes dans ces lieux-là. Les plus âgé·e·s étaient cantonné·e·s à leurs mouvements propres, avec peu d’échanges, si ce n’est à l’occasion de la manifestation féministe annuelle du 8 mars.
Il y a peu, je me suis aventurée, pour ma part, dans un tout nouvel espace de lutte, en assistant à une journée de formation par XR Animal[2] : la lutte antispéciste et végane pour les droits des animaux et l’écologie. Quelle ne fut pas ma surprise ! Moi qui pensais arriver déjà en doyenne, je me suis retrouvée junior. La parité entre têtes brunes et têtes grises était presque parfaite. Surprise, car n’entendons-nous pas partout que « les vieux s’en tapent du climat, de l’écologie », « après les boomers les mouches » ? Or, les voilà bien présents dans un mouvement… et quel mouvement ! Du genre radical : 100% végan, 100% anticapitaliste, 100% pour la désobéissance civile face à l’urgence climatique. J’y ai d’ailleurs appris à m’enchaîner, à bloquer, à user de la technique du « sac de patate » lors de l’embarquement par la police. Et je peux vous dire que j’ai été retournée en prise de catch par quelques mamies bien expérimentées.
Mais ce que je retiens de cette formation, en plus de quelques trucs et astuces pour résister plus longtemps aux portes d’un parlement ou ouvrir rapidement une énorme banderole, c’est la richesse de ce mouvement intergénérationnel. Des plus âgé·e·s, j’ai appris l’ancrage, la bienveillance, la détermination paisible qui permet de militer longtemps sans s’épuiser. Des plus jeunes, j’ai appris certains nouveaux concepts comme l’alimentation « raw vegan » (manger végan, mais tout cru à la manière des animaux herbivores), quelques nouveaux restaurants d’hipsters à tester à Bruxelles et comment militer sur Tik Tok. Et du mélange des deux, j’ai appris que le progressisme radical n’a pas d’âge.
Bref, à la pause midi, c’était un joyeux banquet de bouffeur·euse·s de pissenlits de 17 à 85 ans qui parlaient cuisson du tofu, permaculture et lois écocides. Joli tableau vert.
[1] Mouvements queers : mouvement pour les droits des personnes LGBTQIA+
[2] Sous-branche du mouvement Extinction Rébellion pour l’écologie.