L’influence du toucher en maison de repos : un cas concret
Le toucher est le premier sens que l’être humain acquiert, et le dernier à le quitter. En effet, le fœtus expérimente ce sens en se frottant aux parois de l’utérus ; il découvre ainsi les limites de son corps.
Entre la naissance et la mort, nous expérimentons le toucher quotidiennement, dans tous les domaines et de manière plus ou moins consciente : une poignée de main, une bise, une main sur un bras, une tape sur l’épaule… La peau, avec ses millions de récepteurs, est la surface la plus sensible et la plus étendue du corps. Tout contact, même un frôlement, peut provoquer une émotion qui se traduira en rejet, agression ou au contraire, un sentiment de bien-être.
Ce sens a aussi ceci de particulier : il implique une relation entre celui qui touche et celui qui se fait toucher : les deux sont indissociables. Cette réciprocité rend sans doute ce sens plus tabou que les autres et sa portée, plus profonde : « Ca me touche, ce que tu me dis là », « il m’a touché en plein cœur »…
Dès la naissance, le bébé est pris dans les bras et caressé, ce qui lui permet de se sentir vivant. Ce sens est essentiel au développement, parce qu’il nous révèle notre humanité, la réalité de notre conscience physique. Il nous relie à nous-mêmes, aux autres et à la réalité de notre environnement. Il a d’ailleurs été prouvé que des enfants qui n’étaient pas touchés souffraient de retards de croissance et d’altérations des facultés mentales.
A l’heure où le jeunisme est prôné, le grand âge et le corps vieux qu’il incarne n’inspirent pas confiance… Les rides, les peaux « matures », fripées, abîmées… sont traitées à coup de crèmes anti-âge, d’injections de toxine botulique ou de lifting. Non, les plis n’ont pas la cote, ils nous rappellent notre propre finitude.
Tout au long de notre vie, nous avons tous un réel besoin de contacts physiques, d’autant plus en cas de déficits sensoriels et de pertes cognitives.
Qu’en est-il à l’entrée en maison de repos, où des dizaines de « vieilles peaux » se côtoient en permanence ? Qui les touchent encore ? Qui touchent-elles encore ? Et comment ?
Pour répondre à ces questions, nous nous sommes penchés sur l’expérience vécue dans une maison de repos bruxelloise. Sébastien Vanden Berghe, responsable d’animations de l’asbl A Travers les Arts2 et accompagnateur en fin de vie, organise plusieurs fois par semaine des ateliers de massage. Nous avons également récolté la parole des résidents, qui font généralement la file bien avant l’heure pour bénéficier de ce moment !
Entretien avec Sébastien Vanden Bergh
Qu’existait-il au niveau du toucher, à ton arrivée en maison de repos ?
Cela fait plus de 10 ans maintenant que je travaille en maison de repos et à mon arrivée, rien n’était mis en place sur ce thème-là. De nature plutôt extravertie et chaleureuse, j’aime toucher les gens. Je trouvais qu’il y avait un manque criant d’attentions autres que médicales. Les résidents n’étaient touchés que dans un cadre de soin, mais qu’en est-il de la relation à l’autre, dans son sens le plus large ? On a besoin du toucher pour vibrer, se sentir exister, être.
Y’avait-il une demande de la part des résidents ?
Non , il n’y avait pas de demande, mais j’ai ressenti qu’il y avait une attente de leur part…. Si l’animation proposait des activités créatives ou cognitives, le coté sensitif n’était pas exploité. Les personnes âgées sont en demande non verbale… Dès que je prenais quelqu’un dans les bras, il y avait une réponse positive. Les réponses étaient forcément différentes avec des personnes atteintes de troubles cognitifs. Elles ne peuvent dire ce qu’elles ressentent, la communication devient corporelle, elle se fait dans des moments de tendresse.
Ce constat a-t-il été suffisant pour mettre en place ton atelier ?
Avec l’animation, qui est je pense, le baromètre de la maison de repos, une sorte de foyer au sein de la maison, on cultive le projet de vie de la personne . Mais proposer des tas de choses sans proposer de sensitif me parait insensé : comment peut-on être connecté à la personne ? J’ai donc proposé à la direction un atelier sensitif, concept suffisamment large pour pouvoir englober un maximum de pratiques. Je le voulais comme un petit laboratoire d’approches sensitives différentes, où chaque personne est la bienvenue, peu importe sa pathologie : massages des mains dans un premier temps, de colorthérapie, de musicothérapie et de relaxation. Les personnes peuvent aussi simplement venir prendre un café en écoutant une musique douce…
Après les massages des mains, des pieds et des jambes, j’y ai rajouté l’approche du reiki et du massage intuitif, que je pratique également. Ma démarche est double: thérapeutique d’une part, par l’approche sensitive de la personne et de sa maladie, et d’autre part, il s’agit d’un accompagnement humain, simplement.
Comment ce projet a-t-il été accueilli ?
L’accueil a été très favorable, tant de la part du personnel soignant, qui a pris conscience de l’importance de ma démarche, que des résidents. La kiné m’amène des personnes en chaises, nos pratiques étant complémentaires, selon elle.
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Des passerelles se sont naturellement créées entre les équipes. On s’échange des informations, avec les infirmières et les aides-soignantes.
L’accueil était tellement favorable que le personnel voulait aussi se faire masser ! Ce serait d’ailleurs un service à leur offrir, les aides-soignantes en ont tellement besoin…
Les bienfaits sont donc nombreux ?
Oui, ils sont nombreux et surtout, ils touchent différents niveaux. Il y a les témoignages directs des personnes âgées : une constipation soignée trèèèès rapidement, un œdème dégonflé après quelques séances. Une résidente me disait dernièrement : « Mes jambes sont très laides ! », et moi de lui répondre : « Non Madame, ce sont juste des jambes abîmées… ». Je l’ai massée, et la personne a gagné en estime de soi. Ça ne la guérira pas, mais je pense que ça participera à sa guérison.
D’autre part, les aides-soignantes m’ont dit que l’humeur des résidents s’améliorait. Plus ils participent à l’atelier, plus leur humeur s’améliore ! C’est vrai qu’ils se sentent en vacances…avec une musique de bord de mer et un massage, ils sont tout simplement ailleurs.
Pour les personnes atteintes de troubles cognitifs, ça leur offre un ancrage dans l’instant. Elles se sentent accueillies. Leurs caractéristiques pathologiques tendent à s’estomper pour laisser la douceur s’exprimer. Ils se détendent. Les cris souvent s’arrêtent, comme un instant de repos. Souvent, elles s’endorment. On dirait qu’elles ne dorment pas de la nuit (ceci dit, certaines déambulent, effectivement… ). Parfois, les cas les plus extrêmes ne parviennent pas à se calmer mais c’est rare…
Des gens qui étaient réticents changent d’avis aussi… Des hommes me disaient « mais c’est pour des femmes ça ! ». Je les encourage à essayer et il sont tout surpris : « Ah oui…tu m’as fait du bien, je pourrais revenir ? ».
Un autre point positif, c’est l’empathie qui s’installe entre les résidents. Les mieux portants touchent les personnes atteintes de troubles cognitifs, leur massent les mains…
Et il y a de plus en plus de nouvelles personnes, les anciens en parlent aux nouveaux ! Ça devient aussi une sorte d’atelier de bienvenue, un sas d’accueil…
« On ne peut toucher sans être touché », cette phrase te parle-t-elle ?
Je reçois autant que je donne ! Je suis en relation avec la personne, dont je ne connais parfois pas grand-chose. Je suis simplement dans leur présent (certaines depuis 8 ans, quand même !) C’est un échange qui me nourrit. Ça me permet d’aborder une personne en institution, mais de manière humaine. J’humanise les maladies, je les apprivoise. J’observe beaucoup une personne avant de la toucher. J’acquiers ainsi une connaissance instinctive de la personne.
C’est un réel moyen de communication ; ils me reconnaissent, ils reconnaissent mes mains et l’énergie qui s’en dégage.
Tu touches une personne, sa langue se délie. Elle se sent exister. Elle se sent entendue. Ce sens laisse la trace la plus forte. Les autres sens peuvent nous tromper, le toucher, jamais… On ne peut pas mentir, avec le toucher.
Pour clôturer, quelques mots sur le toucher dans l’accompagnement en fin de vie ?
En fin de vie, « le toucher ultime » accompagne réellement le corps lors du passage. La famille assiste généralement aux soins et apprécie la détente, visible, de leur proche. Ca les aide aussi…
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