Philosopher avec les résident·e·s en maison de repos
« Quand on est jeune, il ne faut pas attendre pour philosopher et quand on est vieux, on ne doit pas se lasser de la philosophie, car personne n’est trop jeune ni trop vieux pour prendre soin de son âme. » – Epicure
Cet article résonne d’une façon particulière car il relate une pratique que j’exerce avec émerveillement et passion depuis quelques années : celle de penser par soi-même, pour soi-même et avec les autres.
Je le rédige alors que je termine la lecture du livre « Maison de repos, Maison de vie ? » (S. Adam, M. Marquet, P. Missotten, 2022) et que brûle en moi cette urgence de repenser l’accompagnement en institution. Du même constat que ses auteur·e·s, il est temps de mettre à l’équilibre un système qui penche de trop en faveur de la santé physique au détriment de la santé mentale des personnes âgées ; un système dans lequel le soin est omniprésent et prend le pas sur leur bien-être, leur qualité de vie et leur auto-détermination (le pouvoir faire ses propres choix).
Lorsque j’étais bénévole à la Maison de repos et de soins Sainte-Monique (Bruxelles), j’observais que dédier un espace et un temps à la discussion avec les aîné·e·s était une façon de cultiver l’autonomie ; l’autonomie de la pensée, l’autonomie par la pensée. Et de leur rendre leur statut d’« interlocuteur valable ». Définie par Jacques Lévine (docteur en psychologie et philosophie, et psychanalyste), cette notion renvoie à « l’invitation à regarder et à rencontrer l’autre comme sujet de parole et de désir, à l’écouter avec respect et bienveillance, pour pouvoir engager avec lui une relation vivante, avec ses composantes d’incertitudes et d’angoisse, une relation de sujet à sujet. »
La MRS Sainte-Monique s’appliquant à suivre le modèle d’organisation Tubbe (les résident·e·s comme participant·e·s actif·ve·s du projet de vie de l’institution), proposer des espace-temps privilégiés de réflexion et d’expression a fait sens.
« L’étonnement c’est le commencement de la philosophie. » – Aristote
Nul besoin d’avoir avalé une bibliothèque d’ouvrages philosophiques pour prendre part aux échanges ; juste cette curiosité, cette audace même, de penser par soi-même, pour soi-même et avec les autres, dans un cadre sécurisant.
Installé·e·s en cercle, on commence par mettre sa casquette d’« habitant du monde » et s’interroger sur ce qu’est la philosophie. Quelques balises sont posées pour permettre au groupe de penser sereinement (bâton de parole, possibilité de s’exprimer et/ou de garder le silence, pas de bonnes ou de mauvaises réponses…). Puis le thème est annoncé -souvent à partir d’un mot inducteur (« le rire »), d’une question (« qu’est-ce que l’optimisme ? » -rendez- vous à la fin de cet article pour découvrir la réponse d’une participante qui prête à sourire !), à partir d’une citation, avec ou sans support visuel, audio, etc.
Plusieurs tours de parole ont lieu et sont clôturés par une synthèse orale et, dans un deuxième temps, par une retranscription dans le journal de la maison diffusé chaque mois.
En tant qu’animatrice, j’apprends, chaque fois, à « faire ce qu’il faut, et puis, laisser faire » comme l’écrit le penseur François Cheng. Arriver avec une intention et puis faire confiance à la pensée en germe, aux silences, à la pensée qui prend son temps, s’égare parfois… à l’écoute, à l’expression d’un accord ou d’une objection, à l’humour… Avec les personnes âgées, le but n’est pas de construire une pensée critique (déjà fait) mais plutôt de les encourager à exprimer leurs pensées de l’instant.
Partir de soi pour se rencontrer et rencontrer l’autre ; que cet autre présente des capacités cognitives qui lui permettent de prendre part activement à la discussion ou qu’il ou elle soit simplement présent·e· dans cet espace et ce temps dédié. Idem pour les membres du personnel qui font des allers-retours dans la pièce et qui, souvent, prête une oreille à la discussion. Organiser des séances en mixité avec les résident·e·s, leurs proches et les membres du personnel participerait de cette rencontre de l’autre.
« Faire de la philosophie, c’est être en route. » – Karl Jaspers
En route dans son projet de vie, en autonomie et à tous les âges. Liages soutient ça ; et une idée pour le faire ensemble serait de créer des « oasis de pensée » dans les MR et MRS de la région bruxelloise. Intéressé·e·s s ? Prenons le temps de se rencontrer !
Elodie
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Puisque vous êtes arrivé·e·s jusqu’à la dernière ligne, voici la pépite recueillie lors d’un atelier philo sur l’optimisme : « Plutôt verre à moitié plein ou à moitié vide ? – Oh moi, le verre…du moment qu’il y a encore un peu à boire dedans ! »
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