« vieillir : le regard de la photographe franco-suisse Clélia Odette »

« ce sont les autres qui sont ma vieillesse » écrivait Jean-Paul Sartre. Et si on partait à la rencontre de ces autres qui façonnent les multiples facettes de notre vieillir ?

Si la vieillesse était une couleur, pour Clélia, ce serait le jaune. Si elle était un objet, ce serait un couteau suisse parce que les personnes âgées ont vécu beaucoup de choses et ont des réponses, des clés à nous partager. Et, si elle était une partie du corps, ce serait les mains qui racontent tout, à l’instar du regard, celui entouré de rides et tellement beau à voir.

Tu peux nous parler de ton projet « Belles Mômes » ?

« Belles Mômes » c’est une quête, une envie personnelle de voir qui sont les femmes à partir de 50 ans, ces femmes qui vieillissent.

Lorsque j’étais étudiante en école de photographie-documentaire à Bruxelles, il a fallu choisir un projet d’étude et c’est là que plusieurs évènements passés y ont trouvé écho : le regard peiné de ma mère sur son corps qui a donné la vie à sept enfants ; un covoiturage avec une gynécologue et une retraitée qui s’est mise à pleurer au moment de nous raconter que son mari était parti voir ailleurs, avec une femme plus jeune…et, elle, de se refaire la poitrine et tirer les rides pour avoir l’air de nouveau séduisante et vivante.

J’ai donc photographié 56 femmes nues, dénudées ou habillées avec cette envie de montrer des corps qu’on ne voit pas sauf peut-être à la piscine…

Au moment de notre rencontre, une cagnotte participative est ouverte pour me permettre de financer un voyage qui documenterait la perception du vieillissement dans d’autres cultures. Je suis curieuse de voir comment les femmes vieillissent au Canada, aux Etats-Unis, Brésil, Géorgie, Maroc et Sénégal ; vivent-elles seules, à deux, en communauté ; quel est leur rapport au corps intime, au corps social… C’est presque un travail sociologique que je mène ! Et la dernière étape serait l’édition d’un livre avec ces regards croisés sur la vieillesse.

D’où te vient cet intérêt pour la thématique de la vieillesse ?

Quelqu’un me faisait remarquer, il y a peu de temps, que tous mes projets personnels tournaient autour des personnes âgées : il y a eu la série « 6 AM » où j’ai principalement photographié des seniors dans les parcs chinois au petit matin ; aussi « Red Rock » avec des portraits d’habitants de l’île Icarie, l’une des quatre zones bleues dans le monde où les gens vivent plus longtemps et en pleine santé ; et, depuis trois ans, « Belles Mômes ».

J’ai une réelle attirance pour faire des portraits de ces belles rides bien ancrées ; c’est pour ça que je suis foncièrement contre la chirurgie esthétique -que je peux comprendre tout en préférant que ça n’existe pas. Si j’arrive à faire voir la beauté d’un corps qui vieillit à travers certaines de mes images, à faire changer les regards alors je me dis que j’aurais fait quelque chose de bien. L’aspect physique mis à part, les gens pensent qu’à un âge avancé on ne vaut plus rien, on n’est plus très intéressant ni même drôle alors que toutes mes expériences me prouvent le contraire ! Voire même que je suis, moi-même, plus vieille dans ma tête et dans mon corps ; j’ai moins d’énergie que la plupart des femmes que j’ai photographié ! Aujourd’hui, quand je suis invitée pour des interviews, j’accepte de parler, seule, du projet « Belles Mômes » mais que ce soient des femmes concernées qui prennent la parole sur le vieillissement.

As-tu des expériences marquantes, en dehors de celles liées à « Belles Mômes », qui ont nourries ton regard encourageant sur la vieillesse ?

L’EHPAD* Mathilde Laurent à Montpellier (France), de méthode Montessori, m’a redonné espoir en l’humain. J’y allais une semaine pour photographier les habitant·e·s et j’ai fini par y rester deux mois ! C’est une maison comme on en voit peu dans laquelle les animatrices font un travail de dingue (en dépit du manque de reconnaissance que l’on connaît). Par exemple, les habitant·e·s ont le droit à trois vœux qu’ils et elles souhaiteraient réaliser : l’une voulait faire un tour en Harley Davidson, l’autre voulait aller dans un club de striptease…hop exaucés ! Les animatrices connaissent leurs histoires et sont à l’écoute de leurs besoins et envies comme celle d’avoir des relations sexuelles consenties pour lesquelles elles aident à instaurer un cadre sécurisant et bienveillant (ndl : car oui, le désir entre personnes âgées ne s’évanouit pas dans les airs une fois passée la porte de ces institutions !).

Il y a aussi une autre maison de VIE à Manage (Belgique), Les Jardins de Scailmont, qui milite énormément pour un changement de regard sur la vieillesse. Leur projet de vie s’inspire de différentes approches respectueuses des droits des aîné·e·s: Montessori, Humanitude et le modèle Tubbe (ndl).

Les personnes de ton entourage portent-elles le même regard que toi sur la vieillesse ?

J’ai toujours été entourée de gens plus âgés : quand j’étais ado, je trainais avec les punks à chien du quartier qui avaient une soixantaine d’années ; j’ai aussi eu des figures maternelles différentes comme ma prof de français ou les mères de mes ami·e·s. Je connais la mixité générationnelle et, d’ailleurs, l’une de mes meilleures amies, Sylviane, a 65 ans. Petite anecdote à ce sujet : j’ai une hernie discale et une mauvaise circulation sanguine et lorsqu’on est allées ensemble au musée, elle a veillé à faire des pauses régulièrement et à ce que je puisse m’asseoir…moi qui suis dans la vingtaine !

Malheureusement, certaines de mes amies n’ont déjà plus le recul de se rendre compte qu’elles sont dans un engrenage à but lucratif -celui des crèmes anti-âge. Pour elles, enlever les rides c’est « prendre soin de soi » alors que, pour moi, laisser mes rides et mes cheveux blancs (que j’appelais « cheveux de lune » quand j’étais petite) c’est ça « prendre soin ».

Des recommandations de lectures, films, autres pour changer nos représentations sociales ?

Le livre Beauté Fatale – les nouveaux visages d’une aliénation féminine de Mona Chollet ou les BD de l’autrice Liv Strömquist comme L’Origine du monde que j’aime beaucoup.

A l’écran, il y a le documentaire québécois L’érotisme et le vieil âge de Fernand Dansereau.

Et puis, dans une quête d’un rôle modèle de vieillissement : regarder une photo de Patti Smith tous les jours, ça aide !

* EHPAD Etablissement d’Hébergement Pour Personnes Agées Dépendantes équivalent des Maisons de Repos et de Soins en Belgique

Par ici pour le site Internet de Clélia Odette et, par là, pour son compte Instagram : Clélia Odette

 

Propos recueillis et mis en forme par Elodie

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