Carte blanche : Pour une approche plus humaine des visites à l’hôpital et en maisons de repos
Il y a ces parents qui viennent d’être confrontés à l’annonce d’un cancer chez leur petit garçon de 3 ans, à qui l’on explique, au moment du transfert vers un autre hôpital, que seul l’un d’eux pourra accompagner l’enfant aux urgences pour les examens complémentaires, puis pendant les premiers jours d’hospitalisation… sans même un accès à la douche ni à l’espace habituel pour les parents, avec frigo et micro-ondes.
Ou ces parents d’un bébé de 11 jours hospitalisé en soins intensifs : « Nous avons appris qu’un seul parent pouvait rester auprès de notre bébé et ça a été très difficile à supporter parce que sa situation était assez critique. Ma compagne – qui venait d’accoucher – et moi ne nous sommes pas vus pendant 6 jours puisque nous nous relayions aux côtés de notre enfant. » Même son de cloche chez cette maman d’un bébé de 8 mois hospitalisé pour pneumonie : « Je me suis retrouvée à partir du mercredi au dimanche soir en isolement total avec elle. Ni elle, ni moi, ne pouvions sortir de la chambre. Que ce soit pour chauffer un biberon, pour demander une cuillère pour une purée, pour faire une tournante avec mon mari pour qu’il fasse une nuit et pour me permettre de voir nos deux grandes. »
Il y a encore cet enfant de 11 ans qui n’a pas pu aller rendre visite à sa grand-mère en maison de repos depuis mars 2020, les visites y étant interdites pour les moins de 12 ans. « Elle se trouvait à l’étage mais j’ai finalement réussi à la faire transférer dans une chambre au rez-de-chaussée. Il ne peut donc voir sa grand-mère qu’en restant à l’extérieur du bâtiment et en lui parlant au travers d’un GSM puisqu’il est interdit à maman d’ouvrir sa fenêtre quand nous sommes devant sa chambre », témoigne l’un de ses parents.
Et puis tant d’autres personnes hospitalisées ou en perte d’autonomie, aux souffrances physiques et psychologiques desquelles vient s’ajouter un isolement total ou partiel dû à des conditions de visites très strictes. « On est derrière les barreaux », nous explique ressentir une maman d’enfant hospitalisé.
Des règles de visites variables d’institution en institution
Les situations sont extrêmement variables d’un hôpital à l’autre, et pour cause : il n’existe aucun cadre légal. Le médecin chef de chaque hôpital peut restreindre les possibilités de visites en fonction de la situation dans et hors de l’hôpital. Les chefs de service ont également la possibilité de fixer des règles différentes pour leur propre service. Un même jour, un hôpital peut assouplir les conditions de visites tandis qu’un autre les renforce. À situation identique, certains hôpitaux interdisent toute visite, tandis que d’autres autorisent deux visiteurs différents chaque jour. Certains autorisent les visites des frères et sœurs des enfants hospitalisés, d’autres interdisent toute visite d’enfant.
Dans les maisons de repos, ces règles restreignant les droits fondamentaux sont édictées par des circulaires, c’est-à-dire de simples instructions aux institutions, qui ne sont ni débattues ni votées dans les parlements. En Wallonie, chaque maison de repos peut en outre appliquer ses propres règles, « si elle l’estime nécessaire et utile ». Dans de nombreux cas, les visites des enfants de moins de 12 ans restent interdites, même dans les maisons de repos qui respectent les recommandations wallonnes et bruxelloises.
Les maisons de repos bruxelloises restent quant à elles les derniers endroits du pays où les personnes doivent respecter des « bulles » de 2 à 5 contacts. Les aînés qui y résident voient en outre toujours leurs droits aux visites dépendre du taux de vaccination dans la maison de repos : si ce dernier n’atteint pas 90 %, ils y ont moins de droits qu’ailleurs, qu’ils soient eux-mêmes vaccinés ou pas.
Difficile dès lors pour les personnes âgées et hospitalisées ainsi que pour leurs familles de faire valoir leurs droits : les règles évoluent souvent, varient d’une institution à l’autre, et dépendent de paramètres également changeants et auxquels elles n’ont pas accès : taux de vaccination, nombre de cas dans l’établissement, voire sensibilités personnelles des décideurs. Contester les règles applicables leur est également difficile sans risquer de se mettre en difficulté (ou de mettre en difficulté leurs proches) avec la direction d’un établissement où elles résident et dont elles sont dépendantes.
Une violation de droits fondamentaux
Ces règles relatives aux visites dans les maisons de repos et les hôpitaux violent manifestement l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui protège le droit au respect de la vie privée et familiale. En limitant le nombre de visites familiales, le nombre de visiteurs ou en imposant des conditions liées à l’âge de ceux-ci, les établissements se rendent coupables d’une ingérence illégale des droits garantis par l’article 8 de la CEDH, puisqu’aucun cadre légal ne prévoit cette restriction.
Pour un cadre légal uniforme et humain
La Ligue des familles, la Ligue des droits humains, le Gang des Vieux en Colère, Eneo, Liages, la LUSS, Senoah, Respect Seniors, le Bien Vieillir, Senior Montessori, Entr’âges et AISBL Générations appellent à :
– Une approche plus humaine des règles en matière de visites.
– Un cadre légal qui fasse l’objet d’un débat démocratique.
– Des règles communes aux différentes institutions, applicables selon les différents stades de la situation sanitaire. A situation égale, les personnes doivent être traitées de la même manière.
– Un droit minimum aux visites en maison de repos et à l’hôpital, garanti quelle que soit la situation sanitaire.
– Le droit pour les résidents des maisons de repos d’aller et venir librement, au même titre et sous les mêmes conditions que le reste de la population.
– La fin des bulles en maisons de repos, en cohérence avec l’évolution des règles pour le reste de la société et qui fait d’autant plus sens depuis que les personnes résidant dans ces institutions ont désormais pu être vaccinées.
– Une attention particulière pour les enfants de tous âges, qui doivent pouvoir à la fois rendre visite à leurs proches en maison de repos ou hospitalisés et être accompagnés de leurs deux parents quand ils sont hospitalisés, quelle que soit la situation sanitaire.
(1) Par « maisons de repos », nous entendons ici « maisons de repos et maisons de repos et de soins ».